Histoire des bagadoù
On imagine souvent le bagad (bagadoù au pluriel) comme étant une formation musicale ancestrale en Bretagne. En fait il n’en est rien : le bagad est une invention relativement récente, née au sortir de la Seconde Guerre Mondiale sous l’impulsion d’un groupe de passionnés de musique bretonne, qui vont fonder la Bodadeg ar Sonerien. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la culture bretonne est en plein déclin … Les difficultés économiques poussent les populations rurales bretonnes à l’exode vers les villes, affaiblissant les traditions rurales. La langue bretonne, la langue des campagnes, affaiblie par l’exode rural et par une politique d’éradication de la langue menée par l’Etat français, est désormais menacée d’extinction. Pour ne rien arranger, la collaboration d’une frange de nationalistes bretons avec les Nazis pendant l’occupation allemande déclenche les suspicions envers tous ceux qui soutiennent et / ou revendiquent la culture et l’identité bretonnes. Les Bretons sont complexés par leur culture, ressentie comme un obstacle au progrès. La tradition musicale est en particulier menacée par les nouvelles traditions musicales « françaises », à l’image du couple sonneurs biniou – bombarde qui disparaît peu à peu. C’est dans ce contexte difficile qu’une poignée de passionnés de musique bretonne créent en 1943 la Bodadeg ar Sonerien (BAS pour les intimes), assemblée des sonneurs de Bretagne. Ils sont six : Dorig Le Voyer, premier président de l’association, Efflam Kuven, Robert Marie, Iffig Hamon, René Tanguy et Polig Monjarret, instigateur du projet. Dès le départ, les objectifs de l’association sont clairs : revaloriser l’image du sonneur traditionnel breton, sauver et dynamiser la création musicale en Bretagne, fédérer la population autour de sa fierté identitaire.
Après des tentatives sans lendemain (en particulier un bagad informel créé en 1947 au 71ème régiment d’infanterie de Dinan par quelques musiciens faisant leur service militaire), c’est Polig Monjarret qui crée le premier bagad civil en 1948 : la kevrenn Paotred an Hent Houarn de Carhaix (bagad des cheminots de Carhaix). Il s’inspire des pipe bands écossais mais, aux deux pupitres cornemuses et de percussions qui composent les pipe bands, il rajoute un pupitre de bombardes pour créer le bagad breton dans sa forme actuelle. La bombarde présente l’avantage d’offrir une tessiture plus étendue que celle des cornemuses, ouvrant la musique de bagad à un répertoire moins formel que celui des pipe bands. Le bagad est dirigé par un penn-soner, un chef d’orchestre version bretonne, c’est-à-dire que lui aussi joue de son instrument ! La prestance dégagée par les premiers défilés du bagad fait des émules en Bretagne et la péninsule armoricaine se couvre de bagadoù, qui puisent leur force dans la population jeune des villes, à la recherche d’un lien avec ses traditions musicales. L’action volontariste de la BAS favorise l’émergence du mouvement : fabrication des instruments (par la relance de la lutherie traditionnelle), formation des musiciens, organisation d’un concours dès 1949 (dont le premier lauréat sera le bagad de Carhaix). Mais c’est surtout à un travail impressionnant de collecte que s’attelle l’association, sous la houlette de Jef Le Penven, compositeur-musicien et musicologue réputé. Les membres de l’association partent dans les campagnes à la recherche des airs traditionnels et les redistribuent aux bagadoù, sauvant ainsi des pans entiers du patrimoine breton. Polig Monjarret récoltera à lui seul près de 5 000 airs !
Aujourd’hui la Bodadeg ar Sonerien peut être fière du chemin accompli ! En 2006, la BAS regroupait 125 bagadoù, représentant environ 6 000 musiciens ! La majorité des bagadoù se trouvent sur le territoire de la Bretagne historique à cinq départements, mais on en retrouve également dans toutes les régions de France (Ile de France, Alsace, Aquitaine, Normandie, Nord-Pas-de-Calais, …), des bretons exilés se regroupant pour renouer avec leurs racines. Le bagad est devenu le symbole de la tradition musicale bretonne et attire des foules de spectateurs. La relève est assurée en permanence par les jeunes musiciens formés dans les bagadig, écoles de formation mises en place par les meilleurs bagadou. Le bagad a contribué à sauver les traditions musicales bretonnes en redonnant vie aux airs traditionnels. Il mène même aujourd’hui la musique bretonne vers de nouveaux horizons : apport de nouveaux instruments, collaboration avec des artistes de renom (Johnny Clegg, Dan Ar Braz, Gilles Servat), créations originales, … Le bagad a également permis à la musique bretonne de s’échapper du sol breton et de voyager à l’étranger, depuis longtemps avec le célèbre Bagad de Lann-Bihoué qui représente la Marine Nationale et la Bretagne aux quatre coins du monde, plus récemment avec les bagadoù civils, comme en témoigne le triomphe récent du Bagad Kemper aux Celtic Connections de Glasgow. Les bagadoù ont encore plus de mérite quand on sait qu’ils sont composés uniquement de musiciens amateurs ! Quand on voit aujourd’hui la vitalité de la musique bretonne, on a du mal à imaginer qu’il y a 50 ans la tradition musicale bretonne était menacée ! Polig Monjarret, qui nous a quittés en 2003, peut être fier de son oeuvre …